Vingt ans après la création de l’accréditation en France – Quels enseignements pour les pays en développement ?

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Vingt ans après la création de l’accréditation en France – Quels enseignements pour les pays en développement ?

20 ANS APRES LA CREATION DE L’ACCREDITATION EN FRANCE – QUELS ENSEIGNEMENTS POUR LES PAYS EN DEVELOPPEMENT ?

Courant 1988, un groupe de travail composé de chirurgiens, anesthésistes, directeurs de clinique et cadres soignants s’est constitué sous l’égide du Syndicat des établissements privés des pays de Loire pour élaborer une méthode pratique d’évaluation de la qualité dans leurs établissements. Deux personnes en étaient à l’origine, le Docteur Ruelle, chirurgien orthopédiste à Châteaubriant qui avait convaincu ses confrères d’y participer et votre serviteur qui avait réuni un groupe de travail dont l’objectif était de proposer des éléments de réflexion.

Cette démarche avait pour origine une réaction à la pratique de l’accréditation, observée depuis de longues années à l’Hôpital Américain de Paris, qui apparaissait lourde, énergivore et peu productive d’améliorations concrètes.

La méthode proposée au groupe de travail était à l’inverse pragmatique, très précise et avait pour objectif de mettre en évidence les multiples dysfonctionnements quotidiens qui constituent globalement un risque réel dans chaque secteur d’activité d’un établissement. A chaque réunion, préparée par le groupe de travail, une liste de questions était proposée, testée par chacun dans sa clinique, puis discutée ou validée lors de la réunion suivante. Ce travail a duré 4 ans, testé dans plusieurs établissements, avant d’être publié en 1996*. En voie d’achèvement, cette démarche a été proposée aux syndicats nationaux d’hospitalisation privée, FIEHP et UHP, qui en ont accepté le principe et décidé la création du BAQHP, Bureau d’Assurance Qualité de l’Hospitalisation Privée, mais qui n’ont pas jugé utile de la défendre auprès des Autorités.

Dans la plupart des systèmes de santé, l’accréditation est une méthode élaborée par des professionnels pour des professionnels et l’Etat n’intervient pas directement dans cette relation d’évaluation. Alors que ces démarches étaient à l’époque appliquées dans la plupart des pays développés, la France n’avait encore rien mis en place et il importait que les professionnels interviennent pour défendre un système indépendant de l’Etat. Ceci n’a pas été fait.

La mise en œuvre de l’accréditation s’est imposée aux établissements de soins français par l’ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996, dite « ordonnance Juppé ». L’Etat crée l’ANAES, Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé, chargée de mettre en œuvre la démarche, elle est dirigée par le Pr Yves MATILLON. Elle reprend les missions confiées auparavant à l’ANDEM, Agence Nationale pour le Développement de l’Evaluation Médicale. L’accréditation est une procédure externe obligatoire à terme de 5 ans, visant à « assurer l’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ». Elle est mise en œuvre par des professionnels de Santé délégués temporairement à cette fonction, coordonnée et gérée par l’ANAES. La première procédure d’accréditation intervient en juin 1999.

Immeuble ou l’ANAES louait des locaux en 1996 au 159 rue nationale à Paris

Immeuble ou l’ANAES louait des locaux en 1996 au 159 rue nationale à Paris

Cette structure, établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de la Santé, démontrait clairement un renforcement du pouvoir de l’Etat sur les établissements hospitaliers, notamment privés. D’autant que l’ordonnance de 1996 mettait également en place l’organisation des ARH, Agences Régionales de l’Hospitalisation, devenues depuis ARS.

L’apparition des mécanismes transposés de la culture Nord-américaine dans des hôpitaux français n’a pas déclenché l’enthousiasme. Chacun allait en effet découvrir peu à peu les principes d’évaluation élaborés au fil des huit décennies précédentes aux Etats Unis et au Canada, ce système étant celui qui serait appliqué en France. Le décalage culturel et méthodologique entre cette démarche et le fonctionnement quotidien des établissements publics et privés français était réel. Il n’est pas exclu qu’il subsiste encore aujourd’hui. Petit à petit, la situation financière des hôpitaux et des cliniques n’a cessé de se dégrader. L’absence de moyens d’accompagnement lors de la mise en œuvre de la semaine de 35 heures a désorganisé les services et instauré une durable situation de pénurie de personnels, en particulier médicaux et soignants. Ce qui contribue à l’affaiblissement des ressources des établissements par un recours massif à l’intérim, parfois dans des conditions financières excessives pour le personnel médical. Néanmoins, le système d’accréditation devenu certification en 2007, a continué à développer sa logique sur ses bases canadiennes initiales, selon un processus bien connu en France qui consiste à hypertrophier les structures administratives.

L’ANAES devient HAS, Haute Autorité de Santé, en 2005 et développe son organisation. Elle est aujourd’hui composée de 6 commissions spécialisées, 3 directions opérationnelles, un secrétariat général et des services. Elle emploie 400 collaborateurs à temps plein, 2800 experts vacataires et près de 550 experts visiteurs. En 2014, son budget était de 59.549 millions d’euros. La HAS occupe depuis la fin 2015 un immeuble de 20 000m2 à Saint Denis, près de Paris.

20 ans plus tard, chacun est en droit de se demander quels sont les résultats concrets que ces dépenses apportent aux hôpitaux, soumis par ailleurs à des économies drastiques. Moins d’infections nosocomiales, moins d’erreurs de distribution de médicaments, moins de chutes de patients, moins d’erreurs médicales, moins de dossiers médicaux importants égarés ? Quelles preuves concrètes attestent au contribuable et au patient que ces budgets considérables ont permis des progrès objectivement évalués ? Evaluer l’évaluateur ne semble concerner à ce jour que la Cour des comptes.

Le taux d’infection nosocomial (IN) officiel produit en 1996 par une première enquête de prévalence était de 7,4%. En 2001, une enquête similaire aboutissait à un résultat de 6,4%. L’accréditation n’y était pour rien puisqu’elle en était à ses premiers audits. Aujourd’hui, on table d’avantage sur un taux de 5%. Ce qui représente une estimation de 4000 décès par an et des dizaines de milliers de séquelles, fréquemment durables. Le niveau de précision des enquêtes s’est sensiblement amélioré, mais cela est dû d’avantage aux travaux des CCLIN, à leurs remarquables données documentaires et à la mise en place de structures d’hygiène dans les établissements, qu’à l’apparition de l’accréditation. Ceci étant, les taux nationaux d’IN s’appuient toujours sur des enquêtes de prévalence et pas sur un suivi continu des complications, ce qui devrait être possible compte tenu des moyens informatiques et des personnels à temps plein disponibles.

Crédit image :  www.fhf.fr

Crédit image :  www.fhf.fr

Pour ce qui concerne les erreurs de distribution des médicaments, second point très lourd en termes de conséquences humaines, l’ANSM, Agence nationale de Sécurité du Médicament, révèle en 2012 que les médicaments constituent à l’hôpital la troisième source d’EIG, (évènements indésirables graves) après les actes invasifs et les infections nosocomiales avec 15 à 60 000 cas évitables chaque année. Aux Etats Unis, malgré plusieurs générations d’accréditation hospitalière, les données connues dans ce domaine sont également considérables. Les complications médicamenteuses graves concernent 3% des patients hospitalisés et dans 10% des cas, conduisent au décès. Le coût annuel qui en résulte est de l’ordre de 3.5 milliards de dollars. Il existe aux Etats unis comme en France des fascicules décrivant la méthode à appliquer pour prévenir ce risque et leur mise en pratique est évaluée régulièrement. Mais il ne semble pas que cela soit suffisant ou adapté puisque cette approche, appliquée de longue date aux USA, ne permet pas de réduire ces chiffres de manière significative. Ce qui amène à poser la question de l’efficacité de la méthode et de son adaptation réelle aux besoins des établissements de soins. Il n’est pas ici question de remettre en cause la notion d’évaluation, qui reste incontournable pour maintenir un niveau de qualité durable dans les établissements de santé, mais de susciter une interrogation sur la méthode employée.

En prenant un peu de distance par rapport au fonctionnement de l’HAS, il est possible de constater que son activité s’est essentiellement développée au plan médical mais apparemment moins pour ce qui concerne les méthodes d’évaluation des pratiques hospitalières. Il serait faux de nier l’évolution des référentiels depuis 1999 à ce jour. Ils sont de plus en plus nombreux et précis au plan médical, mais beaucoup moins au niveau soignant et moins encore pour tout ce qui concerne les fonctions de base, hygiéniques, techniques et logistiques, pourtant essentielles dans la gestion des risques. Il est à craindre que ce décalage avec la réalité quotidienne ait pour conséquence une déconnexion de fait entre ce qui se vit chaque jour et ce qui s’écrit sur les documents d’évaluation. Ce qui avait été constaté dans les années 1980 à l’Hôpital Américain de Paris et avait conduit à proposer autre chose. Elaborer des processus et les évaluer ne suffit pas. La réalité du fonctionnement des services est à la fois plus prosaïque et plus complexe. C’est, pas-à-pas, sur le terrain que celle-ci s’évalue, car c’est là que se révèlent les conséquences concrètes de la pénurie et de la mauvaise gouvernance.

Salle hybride Crédit image :  www.cba-inc.ca

Salle hybride Crédit image :  www.cba-inc.ca

Pour le quidam, la question simple est toujours la même : la qualité des soins est-elle meilleure aujourd’hui qu’il y a vingt ans ? Certainement, cela est dû avant tout à l’évolution des connaissances et des techniques médicochirurgicales. Mais il est difficile d’être aussi catégorique pour ce qui concerne la qualité de la prise en charge, qui n’a cessé de se dégrader. Notamment en raison d’une réduction continue du nombre de soignants dans les hôpitaux et par conséquent de l’accroissement de leur charge de travail. Une erreur de dispensation de médicament ou de concentration d’électrolyte risque d’autant plus de se produire que les infirmières sont débordées et fatiguées par des journées de 12 heures. Les cadres sont moins présents dans les services car le nombre de réunions auxquelles ils sont conviés n’a cessé de croître. De ce fait, leur disponibilité pour l’encadrement technique des activités de leur service s’est d’autant plus réduite qu’ils doivent consacrer en priorité leur temps et leur énergie à gérer l’organisation des plannings et la pénurie de personnel.

Produire à profusion d’excellents textes techniques décrivant les bonnes pratiques médicales, décrire les objectifs à atteindre est une chose, donner aux soignants les moyens d’y parvenir en est une autre. Cet aspect n’apparait pas explicitement dans les processus d’évaluation, déconnectés des difficultés des établissements. Le processus d’accréditation n’est évidemment pas responsable de cette situation, mais il peut sembler quelque peu surréaliste de mener sous cette forme ce type de démarche quand on sait ce qu’elle coûte et que se posent quotidiennement des problèmes de prise en charge élémentaire qui ne trouvent pas de bonne solution.

Siège de l’HAS   Crédit image :  Da Silva/Graphix-images/Architecte : cabinet A. Béchu

Siège de l’HAS   Crédit image :  Da Silva/Graphix-images/Architecte : cabinet A. Béchu

Pour un établissement, il est important d’être accrédité, certifié dit-on maintenant. Il y va de sa crédibilité, ce qui constitue une forme de réussite du système. Ou plutôt de la communication organisée autour du système, car peu de patients le connaissent réellement et sont en mesure d’en apprécier l’efficacité. Par ailleurs, on ne peut nier le décalage entre la réalité constatée, à l’occasion d’expériences récemment vécues par des proches dans les services de certains établissements et le niveau obtenu lors de leur évaluation. Il semble que la démarche ne permette pas de prévenir des dysfonctionnements sérieux, perte de dossier médical en oncologie par exemple, et des causes réelles et sérieuses d’insatisfaction et d’insécurité du patient.

Le processus d’accréditation ou de certification s’appuie sur un socle normatif et réglementaire très solide auquel il est fait référence en maintes occasions. Ne pas disposer de cette base, comme c’est le cas dans les pays en développement, fragilise la construction du système d’évaluation mis en place et ne lui procure ni l’adéquation ni la crédibilité nécessaire. D’autant que sur le terrain, la réalité souligne le manque de moyens, de compétences, de suivi, de formation, si ce n’est de volonté. Mis à part la Tunisie qui constitue ce socle réglementaire, les pays du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest ont encore beaucoup à faire. C’est pourquoi il serait préférable dans un premier temps que tous ces pays se rassemblent dans une démarche partagée pour constituer une base commune adaptée à leurs réalités. Ce travail nécessiterait beaucoup de temps et de moyens s’il était conduit séparément. Il pourrait en être autrement s’il était réparti entre Etats qui ont en commun des difficultés identiques et l’obligation, vis-à-vis de leur population, de rattraper le retard considérable accumulé, pour des raisons diverses, dans la prise en charge sanitaire.

Cour d’un hôpital au Maghreb   Crédit image :  Hospihub.com

Cour d’un hôpital au Maghreb   Crédit image :  Hospihub.com

Mettre en place un système d’accréditation quand on est incapable d’assurer quotidiennement, par manque de volonté, de moyens et de formation, la stérilisation des instruments chirurgicaux est un non-sens. D’autant que dans ce cas précis, il n’existe aucun texte réglementaire qui définisse les conditions à réunir dans chaque établissement en termes de locaux, d’équipements, d’organisation, de compétence et de contrôle. L’évaluation est indispensable, en particulier dans les cas les plus difficiles, comme le montre cet exemple. Mais la démarche doit être adaptée à la réalité, il faut choisir le bon outil.

La Côte d’Ivoire a lancé récemment un appel d’offres pour l’évaluation technique de toutes les structures de soin sur l’ensemble du territoire. Cette démarche est accompagnée de l’étude des remises en état, restructurations, voire reconstruction d’hôpitaux. Ce plan très ambitieux nécessite des moyens considérables, mais il est réaliste dans son approche : connaitre la réalité, pour la traiter en fonction de ce qu’elle est. Si parallèlement, se constituent la base réglementaire et les plans de formation nécessaires, un système efficace pourra se mettre en place et déboucher un jour sur une forme d’accréditation. Mais il faut accepter que cela prenne du temps. Instaurer cette démarche en dépit des réalités peut satisfaire un Cabinet ministériel, certainement pas les patients et leur famille qui souffrent d’être mal accueillis, mal hébergés, dans un système de soins mal sécurisé.

Vestiaires et sanitaires d’un bloc opératoire de CHU Afrique   Crédit image :  news.icilome.com

Vestiaires et sanitaires d’un bloc opératoire de CHU Afrique   Crédit image :  news.icilome.com

La démarche d’accréditation a été élaborée dans un pays opulent et s’est développée à travers le monde à une époque où cette opulence était une réalité partagée dans les pays occidentaux. Ceci est fort différent aujourd’hui, le restera durablement et s’aggravera certainement si l’on en croit les économistes. De même qu’il était suggéré dans un précédent article de ne pas concevoir au-dessus de ses moyens, il pourrait être envisagé de simplifier les processus d’évaluation pour les rendre moins coûteux et d’en profiter pour les rapprocher des réalités quotidiennes.

Il est impossible de refaire l’histoire et ce système restera certainement en place, quoiqu’il en coûte. Par contre, soumis inévitablement aux conditions économiques globales, les pays maghrébins et africains tentés par l’accréditation, auraient intérêt à bien réfléchir avant de s’engager dans une telle démarche, compte tenu de la charge financière qu’elle représente, de la réalité objective des structures réglementaires et sanitaires dont ils disposent et des besoins prioritaires qu’ils peinent à satisfaire. Transposer un système aussi complexe sans considérer les décalages culturels, réglementaires et financiers qui s’imposent, révèle une grave méconnaissance de la réalité objective de son pays, un conformisme confortable et une forme de paresse intellectuelle. Se rapprocher des critères internationaux peut être un objectif louable, si par ailleurs cette recherche de label est précédée du travail en profondeur nécessaire. Dans le cas contraire, cela revient à gaspiller en communication mensongère des moyens qui seraient plus utiles ailleurs.

Pour être efficace, il faut évidemment connaitre la situation sanitaire dans chaque Etat, dans chaque hôpital, dans chaque clinique. Cela permet de définir les priorités, d’en suivre l’évolution et d’engager efficacement les budgets disponibles. Pour les pays en développement, l’accréditation n’est vraisemblablement pas, aujourd’hui, l’outil le mieux adapté à ces objectifs.

Il existe au moins une alternative. L’approche évoquée au début de cet article s’est peu à peu actualisée, adaptée aux pays en développement. Elle pourrait aujourd’hui être aisément accessible par internet pour tout professionnel, où qu’il soit, pour peu qu’il dispose d’une tablette et d’un réseau. Il est facile d’imaginer les possibilités d’exploitation que procure la centralisation des données prélevées ainsi sur le terrain : optimisation des budgets d’investissement, réponse adaptée aux besoins de formation par exemple. Au stade actuel du développement des infrastructures sanitaires dans de nombreux pays, il semble plus important de disposer d’un état des lieux aisément actualisable des bâtiments, des installations et des pratiques professionnelles, que de l’adéquation des établissements à des démarches et des critères de qualité en grande partie inapplicables.

Références bibliographiques :

(*) Hygiène et qualité hospitalières. Editions Hermann 1996. Patrick Breack