Un projet de normes est en préparation pour les cliniques privées

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Un projet de normes est en préparation pour les cliniques privées

Nous avons pu lire l’avant-projet d’arrêté du ministre de la santé fixant les normes des cliniques au Maroc. Ce texte, qui se veut complet et exigeant, est indispensable pour discipliner un secteur où les réalisations récentes sont parfois éloignées des référentiels habituels dans ce domaine. Ce qui ne les empêche pas d’être validées par les Autorités, en l’absence d’un texte officiel précis s’imposant à tous. Toutefois, certains points de ce texte nous semblent discutables, ce que nous nous permettons de relever dans ce commentaire qui a pour objectif d’apporter une critique constructive.

Par ailleurs, cette norme concerne exclusivement les cliniques privées qui sont soumises à des règles financières d’investissement et de rentabilité qui sont les conditions mêmes de leur pérennité. L’encadrement de la conception et du fonctionnement de ces établissements est une nécessité, mais on ne peut ignorer leurs contraintes. C’est pourquoi il nous semble opportun de souligner quelques exigences de la norme dont le coût de réalisation et de maintenance n’est pas en rapport avec le bénéfice attendu en termes de qualité ou de réduction des risques.

Le fonctionnement général

  • La largeur des circulations est définie dans l’article 6. Elle n’est pas contestable pour le plateau technique, en particulier au bloc opératoire et en réanimation. Par contre, dans les services de soins, elle pourrait être réduite à 1,80m avec des espaces de 2,50m en face de chaque ouverture de porte. Ceci permet d’économiser de la surface construite et par ailleurs de briser la monotonie des couloirs.
  • Dans l’article 7, prôner le recours à des produits antibactériens conduit à augmenter le coût des réalisations alors que ces produits ne peuvent couvrir la totalité du spectre microbien et qu’il est préférable que les revêtements soient aisément nettoyables, ce qui est d’ailleurs précisé dans ce texte.
  • L’article 8 précise les règles d’application de la sécurité incendie et notamment le désenfumage. Il est regrettable que ne soient pas mentionnés les risques très importants liés à la pollution aspergillaire qui en résulte, en particulier dans les secteurs où sont hébergés des patients fragiles ou sous assistance respiratoire. C’est pourquoi sont généralement exclus de ces dispositions les blocs opératoires, les blocs obstétricaux, les secteurs de néonatalogie, de soins intensifs et de réanimation. Cf le Focus Hospihub à ce propos.
  • L’article 10 consacré aux risques électriques mentionne la nécessité du groupe électrogène, indispensable à la sécurité d’un établissement médicochirurgical, mais ne précise pas la durée minimale de son fonctionnement, 48h en France.
  • Le chapitre 4 concerne plus particulièrement la programmation et la conception des services généraux. Il constitue une avancée incontestable mais devrait être précisé, en particulier pour la buanderie compte tenu du risque de contamination massif que présente un linge propre contaminé distribué dans tous les secteurs de l’établissement. Il serait souhaitable qu’il soit accompagné de règles équivalentes exigibles des prestataires extérieurs prenant en charge le linge des cliniques. Car face à des règles strictes en interne, chaque établissement préfèrera la sous traitance.
  • L’article 18 concernant la pharmacie ne semble pas adapté à la réalité actuelle des établissements, consommateurs massifs de DMS, dont les conditions de stockage doivent être clairement définies et contrôlées par le pharmacien. Les surfaces de référence sont très inférieures à la réalité des besoins.
  • L’article 19 concernant la morgue développe des dispositions techniques minimales mais ne prend pas un compte la dimension humaine de ces locaux.
  • L’article 20 concernant les déchets ne prend pas en compte les conditions de température ambiante locales qui devraient conduire à préciser les températures de stockage.
  • L’article 24 ne reflète pas une pratique réaliste de la gestion des isolements infectieux dans un service. Les infections se déclarent dans n’importe quelle chambre, en particulier en chirurgie où elles peuvent être multiples et simultanées. Chaque chambre doit être en mesure de gérer un isolement, une chambre équipée d’un sas pour 10 à 15 lits ne résout pas la question.
  • L’article 25 souligne la nécessité de ventiler les chambres, ce qui n’est pas inutile dans le contexte actuel. Par contre, il serait préférable de spécifier le débit d’air neuf.
  • L’article 28 définit les locaux logistiques nécessaires au fonctionnement d’un secteur de soins. Il est regrettable que n’apparaissent pas deux locaux essentiels : le local utilité permettant aux infirmières de déposer ou laver le matériel sale en retour de soin et aux femmes de ménage de jeter les eaux de lavage du sol. Le local ménage permet de ranger dans un endroit propre le chariot de ménage, le matériel de désinfection et les consommables nécessaires.

Le bloc opératoire et le plateau technique

Le chapitre 7 concerne les installations médicotechniques et en particulier le bloc opératoire.

  • L’article 36 permet de douter que ce texte ait été rédigé par des personnes ayant l’expérience de la pratique des gestes quotidiens, sinon, la surface du sas de transfert ne serait pas de 6 m2.
  • La notion d’isolement septique en salle de réveil relève de la pratique infirmière et médicale sachant que le patient qui était septique en entrant au bloc, l’est beaucoup moins à la sortie quand son affection a été traitée, d’autant que toutes dispositions doivent être prises en salle d’opération pour qu’il ne soit pas contaminant après l’intervention.
  • La notion de sas apparait assez confuse dans ce texte (zone 3), à ce propos, il est possible de consulter un précédent Focus publié par Hospihub sur ce sujet :
  • La véritable interrogation concernant ce texte est soulevée ensuite par la préconisation d’un couloir propre et sale au bloc opératoire. Cette disposition a été abandonnée depuis près de trente ans en France et dans les pays développés après la démonstration de son inefficacité aussi bien fonctionnelle que microbiologique. En dehors des bloc opératoires très importants où la sectorisation s’impose pour la gestion des flux, cette organisation n’est plus appliquée dans aucun projet de bloc opératoire moderne. Elle augmente inutilement la surface construite et surtout ne résout en rien le problème principal qui est la contamination excessive du couloir central du bloc opératoire, considéré à tort comme propre. Ce point nécessite un long développement, il repose surtout sur une réalité microbiologique aisément vérifiable.
  • Il est à noter également l’absence de sectorisation du bloc opératoire dans le but de protéger la chirurgie de classe 1 (orthopédie, neurochirurgie, chirurgie cardiaque notamment) qui s’impose au vu des pratiques quotidiennes.
  • Au plan logistique, il faut noter l’absence de tout local « utilité » et « ménage », chaque secteur devant logiquement en être équipé afin de limiter les risques de contamination croisée.
  • L’article 38 définit les spécificités des salles d’opération. Il procure utilement des notions techniques mais mériterait d’être précisé sur certains points qui ont une incidence directe sur le risque infectieux. C’est le cas du dernier paragraphe qui n’indique pas le degré d’hygrométrie attendu, les valeurs des différentes pressions et surtout les limites de vitesse de l’air au niveau de la plaie. Une vitesse excessive peut être très dangereuse, en particulier dans les systèmes de traitement d’air vendus à grand frais en chirurgie orthopédique.
  • La surface des salles d’opération recommandée est excessive par rapport aux besoins objectifs. Elle semble se baser sur les habitudes locales qui veulent qu’un maximum de matériel soit stocké en permanence dans les salles d’opération, ce qui est une erreur en termes de gestion du risque infectieux. Les salles d’opération doivent être vides et ne recéler aucun stockage permanent. De ce fait, leur superficie correspond à la surface utile réelle. Dans ces conditions, 36m2 en chirurgie générale, 42 m2 en chirurgie orthopédique et 49 m2 en chirurgie cardiaque sont des surfaces qui correspondent aux besoins objectifs, vérifiés par une longue pratique. Il ne faut pas perdre de vue que la surface d’une salle doit être nettoyée entre chaque intervention, mais surtout, que la nature a horreur du vide et que la dimension de la salle permettra de stocker davantage de matériel à l’intérieur. Au plan financier, la surface de la salle définit son volume et par conséquent les débits à traiter par les systèmes de traitement d’air qui sont très onéreux. Plus la salle est grande, plus ils sont chers et les bénéficiaires sont davantage les fournisseurs que les patients. Ce point a déjà été développé sur Hospihub, en particulier pour souligner les couteux excès de la norme européenne en matière de traitement d’air :
  • Au plan technique, un onduleur de 5 KVA est insuffisant au vu des puissances couramment utilisées aujourd’hui en salle d’opération. Lors de l’installation des bras mobiles, chirurgiens et anesthésistes, les arrivées de fluides doivent être également assurées sur la paroi afin d’assurer la sécurité dans le cas d’une rupture accidentelle d’alimentation du bras. Ce point n’est pas précisé. Définir un nombre « suffisant » de prises électriques laisse libre cours à l’interprétation de chacun, tenté généralement par le minima. Il serait préférable d’être précis. Par contre, imposer un éclairage opératoire mobile par salle est excessif et inutile compte tenu de la fiabilité des éclairages opératoires actuels, un par zone serait suffisant.
  • Ce projet de norme définit des moyens, pas la façon de les utiliser, ce qui est pourtant essentiel. Les habitudes locales veulent que tous les chirurgiens demandent à opérer à la même heure, ce qui se traduit par une organisation propice à l’accroissement des risques et à une mauvaise gestion des moyens disponibles. Il serait souhaitable que cet aspect qui intervient directement sur la sécurité des patients soit abordé au travers d’un ensemble de recommandations organisationnelles, un manuel d’utilisation du bloc opératoire, définissant en particulier les attributions de chacun, les règles de programmation opératoire, de gestion des dossiers et de traçabilité des informations.
  • L’article 40 concerne la stérilisation, domaine où il est réellement nécessaire de préciser les exigences. Par contre, il n’est pas recommandé de vérifier et plier le linge dans la zone de conditionnement car cette activité génère une pollution préjudiciable à la qualité de la stérilisation. Elle doit être réalisée dans une salle séparée, ce qui ne s’impose guère aujourd’hui dans des établissements qui utilisent généralement du linge à usage unique. La liaison directe entre bloc et stérilisation n’est pas indispensable dans la mesure où des dispositions organisationnelles efficaces sont mises en place pour transporter le matériel stérile et décontaminé, ce qui se pratique dans la plupart des hôpitaux européens depuis fort longtemps. Un Focus a été consacré à la stérilisation par Hospihub sur ce point.
  • Il est regrettable que les spécifications précises concernant les gradients de pression ne soient pas formulées dans ce document car ils ont ici une réelle importance. Le recyclage de l’air de plusieurs locaux ne doit pas être évité, mais strictement interdit.
  • En dehors du bloc opératoire et du bloc obstétrical, le personnel peut utiliser un vestiaire central compte tenu de l’utilisation fréquente de surblouse ou de tablier de protection lors de la pratique des soins. Cette disposition permet d’éviter la prolifération de vestiaires dans l’établissement et de gérer plus facilement le remplacement des tenues.
  • L’article 43 concernant la réanimation ne fait pas du tout état de la ventilation de ces locaux alors qu’elle joue un rôle essentiel dans la prévention des infections, par sa dilution permanente de la pollution particulaire abondante produite par les soins dans ce secteur. Ce point mériterait un long développement qui s’appuie sur des mesures objectives de la pollution microbienne et sur des corrélations avec les infections relevées chez les patients. Il n’est pas prévu de chambre de garde alors qu’une présence médicale doit être assurée en permanence.
  • Le secteur de réanimation est une unité de soins à part entière qui doit disposer de toute la logistique définie pour un service et en particulier des stockages de consommables et de matériels de dimension adaptée. Ce point n’est pas précisé.
  • Il en est de même pour la section 6 consacrée au secteur obstétrical.
  • La section 7 ne fait pas état des locaux de stockage ni des oubliés permanents : utilité et ménage, ce qui semble révéler la considération limitée accordée à l’hygiène de base dans la conception générale du fonctionnement des services.

Nous n’avons pas eu communication des annexes annoncées dans le texte et qui concernent les techniques particulières, bien implantées dans les cliniques : radiothérapie, hémodialyse, cathétérisme, imagerie médicale, chimiothérapie, curiethérapie, chirurgie cardiovasculaire.

Nous en effectuerons la même lecture quand nous aurons l’opportunité de les analyser.

Conclusion

La publication de ce projet de norme est un grand pas en avant qu’il convient de saluer. Il permettra de faire évoluer durablement la qualité et la sécurité des soins dans le pays. Par contre, certains aspects nous semblent à préciser, en particulier concernant le bloc opératoire. Ces suggestions ont été développées tout au long de ce texte qui, rappelons-le, a pour objectif de proposer une critique constructive. Mais il est quand même surprenant qu’un tel énoncé de remarques, et elles ne sont pas exhaustives, soit possible en quelques heures, alors que le ministère dispose depuis de longues années d’experts financés à grand frais par des fonds européens pour assurer le transfert de connaissances dans ce domaine.

Ce texte ne concerne que les cliniques privées, alors que les hôpitaux publics sont pour la plupart tout aussi perfectibles, ce qui nécessitera de se référer à une norme, laquelle, pour envisager leur amélioration.

Enfin, se pose la question de la mise en conformité des établissements existants et récemment ouverts, qui sont pour certains tout à fait décalés par rapport aux exigences légitimes de ce texte.