Questions sur la maîtrise de la qualité de l'air au bloc opératoire : vision croisée de deux experts

Date de publication
Questions sur la maîtrise de la qualité de l'air au bloc opératoire : vision croisée de deux experts

Entretien avec Patrick BREACK, expert en hygiène, qualité et conception hospitalière, auteur du livre "Comprendre et concevoir le bloc opératoire" et Grégory CHAKIR, Infirmier de Bloc Opératoire Diplômé d'Etat (IBODE) en Chirurgie Cardiaque, dix ans d'expérience en bloc Orthopédie et Traumatologie, fondateur de la page IBODE Infos sur les réseaux sociaux.

 

Hospihub : L'architecture et la conception des blocs opératoires semblent avoir évolué au cours de ces dernières années, notamment avec la disparition des sas. Cela peut-il avoir une conséquence sur la qualité de l’air ? 

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© G Piel

Grégory CHAKIR : Sur le terrain, nous constatons avec la construction des nouveaux blocs opératoires la suppression progressive des sas à l'entrée des salles opératoires. Aujourd'hui, celles-ci peuvent donner directement accès au couloir du bloc. Cela ne se faisait pas auparavant. Dans notre enseignement à la spécialisation Ibode et plus précisément le module relatif à l'asepsie, nous abordons le rôle important de la cascade des pressions dans la maîtrise de la qualité de l'air. Elle permet d'éviter l'entrée de flux d'air à l'intérieur du bloc et de limiter l'aérobiocontamination. Le sas a aussi pour intérêt de pouvoir stocker du matériel à l'extérieur de la salle. Avec leur disparition, le matériel se retrouve soit en salle soit dans les couloirs, ce qui peut être problématique en termes d'ergonomie et d'hygiène.

Patrick BREACK : Le sas a toujours été nécessaire et d’ailleurs jusqu’à une époque relativement récente, toutes les salles d’opération en étaient équipées. C’est en effet une mesure de sécurité indispensable pour protéger l’ambiance de la salle de la contamination des salles voisines et du couloir. Celle-ci s’est lourdement accentuée avec la suppression du circuit sale qui ramène dans un seul couloir toute la circulation, propre et sale du bloc opératoire. La suppression des sas ajoute les lavabos chirurgicaux, qui contribuent à l’accroitre davantage. Naturellement, la pollution particulaire contaminée s’est très sensiblement accrue, d’autant que la ventilation du couloir central est fréquemment insuffisante. Elle devrait être au moins de 10 volumes/ heure pour diluer efficacement cette pollution. Lorsque la suppression du circuit sale a été acceptée par l’Administration, la contrepartie était de ventiler un couloir central élargi et de prévoir des sas. Rapidement, les concepteurs ont abandonné ces principes et personne n’a réagi, ce qui est très surprenant de la part des hygiénistes qui connaissent ces phénomènes et de l’Administration qui devrait écouter leur avis lors de la conception des projets. Il ne faut pas hésiter à affirmer que sont construits aujourd’hui des blocs opératoires potentiellement dangereux de ce point de vue. C’est un sujet longuement développé dans mon dernier livre.

 

Hospihub : Comment préserver au maximum l'instrumentation chirurgicale des risques d'une aérobiocontamination au cours d'une intervention ? 

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© Hospihub Installation de table en chirurgie orthopédique

Grégory CHAKIR : La qualité de l'air est une des composantes indispensable de l'asepsie au bloc opératoire. Elle doit être étroitement liée aux recommandations en matière d'hygiène telles que le lavage des mains, la tenue vestimentaire, la circulation en salle pour ne citer qu'eux. Elle ne peut s’auto-suffire. La SF2H recommande une pression entre 15-20 Pascals et de limiter les entrées et sorties. En effet, cela peut présenter un risque potentiel d'aérobiocontamination de l'instrumentation. Certains blocs ont choisi d’utiliser une pression plus importante pour palier à l’absence des sas. On peut se poser la question de son réel intérêt. Dans certaines chirurgies prothétiques telles que l'Orthopédie ou le Cardiaque, il est recommandé, par cette Société, d'utiliser une ventilation unidirectionnelle par un plafond soufflant pour limiter le risque d'infection du site opératoire.  Lorsque nous instrumentons, nous devons placer nos tables dans la zone délimitée sous ce plafond. Cela peut parfois être difficile car cet espace peut être restreint ou mal conçu au départ. Certains Ibode utilisent des chemins de table pour exposer le moins possible les dispositifs médicaux à l'air et réduire le risque de contamination surtout pour des chirurgies longues. Cette pratique relève plus du dogme que de réels preuves scientifiques.

Patrick BREACK : Je ne pense pas que la préservation de la contamination de l’instrumentation chirurgicale passe prioritairement par une extension des systèmes de traitement d’air. Ce point nécessiterait un long développement. Disons que les systèmes existants sont largement suffisants et que la prévention doit reposer sur des mesures simples : d’abord essuyer les instruments après utilisation et utiliser les chemins de table. Le fait de disposer d’un traitement d’air élimine pratiquement le risque de contamination quand la table pont se trouve directement sous le flux. Mais pour de nombreuses interventions lourdes, les tables se situent en périphérie du flux d’air, derrière les opérateurs et dans ce cas, la contamination émise par ces opérateurs est évacuée vers les instruments et cupules de sérum exposés sur les tables. Les protéger me parait nécessaire car le mouvement naturel de l’air est de partir du centre pour aller vers la périphérie de la salle où sont situées les bouches de reprise hautes et basses situées normalement à chaque angle. La contamination microbienne de la salle d’opération est produite par ses occupants et ceux-ci se trouvent pour l’essentiel au centre de la salle, sous le flux d’air qui se charge, en balayant chaque individu, de toute la contamination qu’il émet en permanence, même en tenue chirurgicale stérile. Sans compter la pollution que dégagent les mouvements du chirurgien en orthopédie et les changements de gants. Les tables d’instruments sont fréquemment situées entre la source de pollution et la reprise d’air.

Un autre point intervient parfois, lié à la préparation prématurée de l’intervention. Certaines panseuses s’habillent et préparent les tables d’instruments alors que le patient n’est pas encore entré dans la salle ou est en cours d’installation. L’agitation qui correspond à cette phase est toujours la source d’un accroissement significatif de la pollution microbienne de l’air de la salle et cette pratique est à mon avis à déconseiller, même si les tables sont recouvertes d’un champ stérile après avoir été préparées.

 

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Hospihub : Quels éléments peuvent perturber la qualité de l'air au sein d'une salle d’opération ?

Grégory CHAKIR : Ils sont à la fois humains et matériels. Premièrement, concernant les éléments que nous connaissons actuellement, il y a les acteurs du bloc opératoire par leur activité. Il est important d’optimiser et réduire les déplacements au cours d’une intervention afin de limiter l’entrée et la mise en suspension de particules potentiellement contaminantes à l’intérieur de la salle opératoire. Ensuite il y a ceux qui demanderaient à être étudiés notamment la fumée produite par le bistouri électrique. Elle contient un mélange de substances diverses notamment biologiques et actives comme des bactéries et des virus. Entraîne-t-elle pour autant une modification de la composition particulaire de l’air ?  A ma connaissance, aucune étude ne semble avoir été menée sur le risque d'infection du site opératoire lié à la fumée chirurgicale. Enfin, il n'est pas rare d'utiliser certains dispositifs à usage unique qui peuvent mettre en suspension des particules de textile lors de leur manipulation ou leur découpe en per opératoire. Il serait intéressant de se pencher sur la question. Cette réflexion sur nos pratiques est indispensable car l'Ibode est garant de la sécurité et de la qualité des soins délivrées au patient au bloc opératoire.

Patrick BREACK : Comme je le disais précédemment, la source majeure de pollution microbienne de la salle d’opération est ses occupants. C’est pour cela que sont mis en place des systèmes de drainage et de dilution par un apport d’air filtré. Les fumées interviennent également dans le cas de lésions virales, mais il est conseillé de les capter à l’origine. Ceci est plus difficile dans le cas des fumées chirurgicales mais la dilution de l’air sur le champ opératoire fait qu’elles sont évacuées très rapidement vers la périphérie de la salle, si le flux est bien organisé. On peut constater parfois que ces fumées tournoient un moment au-dessus du champ avant de disparaître. Cela signifie que des phénomènes anormaux se produisent et qu’il serait souhaitable de les analyser pour en déterminer la cause, qui peut être une vitesse excessive du soufflage. Intervient dans tous les cas la protection de l’équipe chirurgicale dont le masque habituel ne possède pas un pouvoir de filtration suffisant.

Les équipements utilisés couramment en chirurgie aujourd’hui peuvent aussi perturber le flux d’air. Le robot chirurgical est un exemple, mais il est protégé par une housse stérile et l’utilisation de trocarts limite sensiblement le risque de contamination de la plaie. Dans les salles hybrides, la configuration des appareils d’imagerie peut perturber le flux, mais ils sont dans ce cas protégés par des housses stériles, mais partiellement et la qualité du bionettoyage est alors essentielle. Sinon, les causes de la contamination des salles sont toujours les mêmes : ouvertures trop fréquentes de la porte, discussions en salle ou au-dessus du champ opératoire et dans les hôpitaux universitaires, trop d’observateurs à l’intérieur. Enfin, interviennent les causes techniques liées à un dysfonctionnement des installations de ventilation, qui reposent sur des réglages délicats donc fragiles. De ce fait, il est important de disposer de systèmes de monitorage des installations et au minimum, de contrôler systématiquement la surpression de la salle avant chaque intervention, ce que facilitent aujourd’hui les indicateurs électroniques encastrés dans le mur de la salle. Ils permettent par ailleurs de vérifier le taux d’hygrométrie, entre 50 et 65% HR. Il arrive que l’hygrométrie soit déréglée, ce qui majore le risque infectieux lorsqu’elle est excessive et qui augmente le risque d’incident électrostatique lorsqu’elle est trop basse et surtout, intervient sur la dessication des tissus.

 

Hospihub : Est-il primordial d'inclure et d'associer les Ibode à la conception architecturale des blocs opératoires ? 

 

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©  Hospihub – Couloir central dans un bloc opératoire récemment mis en service

 

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Patrick BREACK : Associer les utilisateurs à la programmation, la conception et la mise au point d’un bloc opératoire parait d’autant plus évident que la plupart de ceux qui réalisent ces missions de conception n’ont jamais vécu dans un bloc opératoire et qu’ils n’en possèdent qu’une vision théorique et parfois bien insuffisante quand il s’agit de la gestion des risques. Tout ce qui vient d’être développé dans cet entretien en atteste. Rien d’anormal à tout cela car le niveau des techniques et des investissements qui en découlent exige de chacun un seuil de compétence élevé qui ne peut être développé dans des domaines aussi différents que le Bâtiment et l’activité périopératoire. Il est illusoire de penser que la multiplication des réalisations compense cette lacune initiale. D’ailleurs, les mêmes défauts apparaissent systématiquement depuis des années dans les conceptions de certains grands cabinets. Il peut arriver que ces compétences se rejoignent chez un individu, mais cela relève de l’épiphénomène et la sagesse voudrait que dans la majorité des cas, pour améliorer la prise en compte des risques et la qualité fonctionnelle du bloc, les concepteurs aient l’humilité de soumettre leurs projets aux utilisateurs. Cela doit intervenir à tous les stades, depuis la programmation jusqu’à la mise au point de l’avant-projet détaillé. Oui, cela prend du temps, oui cela est inconfortable, oui cela est désagréable car il faut reprendre un travail qui a demandé beaucoup de temps et bien sûr, cela coûte cher. Il faut comprendre le concepteur, son métier est difficile, il est soumis à beaucoup de contraintes, mais lui doit écouter ceux pour qui il travaille et ce, tout au long de la conception.

Je suis intimement convaincu de cette nécessité, je le fais systématiquement, mais je dois reconnaître que lorsque les utilisateurs me demandent un changement, j’ai d’abord tendance à refuser parce que je propose ce qui me parait être la meilleure solution, sur laquelle j’ai longuement réfléchi, dans un contexte fonctionnel et technique souvent difficile où interviennent de multiples facteurs que les utilisateurs ignorent. Mais j’ai tort, je le sais et très vite, je dépasse cette première réaction, j’écoute toutes les remarques, je reprends mon concept et je l’adapte aux attentes exprimées. Jusqu’à maintenant, le résultat a toujours été meilleur après cet échange, sans exception et c’est en plus un très bon moyen d’enrichir ses connaissances.

Le blocage n’intervient pas uniquement à ce niveau. Les responsables administratifs en sont également responsables car ils privilégient le respect des délais et limitent les échanges entre utilisateurs et concepteurs. Il faut en effet gérer un projet et cela passe par une obligation de planification et par le respect de cette exigence pour des raisons contractuelles et financières. Mais il faut garder à l’esprit que ce projet n’est financé, conçu, réalisé que pour être utile à ceux qui s’en servent et aux patients qui y seront traités, pendant deux décennies peut-être. Gagner quelques semaines sur la conception en écartant les utilisateurs des discussions et des mises au point est un mauvais calcul. Les exemples de projets coûteux inadaptés aux besoins quotidiens abondent et c’est une insulte au bon sens d’écarter ceux qui connaissent le mieux le sujet, alors qu’il suffit au départ d’adapter la planification en y intégrant les délais de concertation. Fort heureusement, certains projets se déroulent dans la concertation, cette démarche est donc possible.

 

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