Fuite des cerveaux, hémorragie : le décret 2017-1601 du 22 novembre 2017 inquiète les pays du Maghreb

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Fuite des cerveaux, hémorragie : le décret 2017-1601 du 22 novembre 2017 inquiète les pays du Maghreb
Maghreb

A la fin janvier 2018, le décret 2017-1601 du 22 novembre 2017, publié au journal officiel du 24 novembre 2017 précisant les conditions d’application de l’article 121 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé français, a suscité nombre d’articles dans les media maghrébins. Les termes employés sont extrêmes pour exprimer les inquiétudes « Fuite des cerveaux, hémorragie, exode massif »

 

Que dit le décret ?

Ledit décret introduit la possibilité de délivrer des autorisations individuelles d’exercice temporaire (minimum trois mois à deux années maximum) à certaines catégories de praticiens spécialistes et d’étudiants des professions médicales et pharmaceutiques dans le cadre d’une formation spécialisée effectuée en France.

Les dispositions du présent décret concernent les professionnels médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes spécialistes étrangers qui poursuivent une formation spécialisée complémentaire leur permettant d’acquérir ou d’approfondir des compétences dans un domaine précis de leur spécialité. Cette formation continue pourra être diplômante ou non.

Deux types d’accueil, qui se différencient par les modalités de rémunération applicables, sont créés :

  • L’établissement d’accueil peut n’avoir aucun lien de rémunération avec le praticien qui est indemnisé par un sponsor participant à la formation (établissement hospitalier ou université de rattachement, bourse d’état, fondation,…).
  • L’établissement d’accueil peut rémunérer directement le praticien contre un remboursement éventuel. Les possibilités sont laissées à la libre appréciation des acteurs participant à l’accueil en formation.

Le décret précise également la procédure de délivrance de l’autorisation temporaire d’exercice qui implique à la fois l’ordre compétent et le CNG.

 

Représentation des médecins maghrébins en France

D’après des statistiques publiées fin 2017 par le Conseil national français de l’Ordre des médecins (Cnom), les médecins algériens représentent la première communauté des médecins étrangers non européens exerçant en France, devançant dans l’ordre, les médecins marocains, et les médecins tunisiens.

 

Réactions au décret

En Algérie, le media algerie-focus rapporte les propos de M. Khiati, le président de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREME) : « Même si cette autorisation d’exercice est limitée par une durée maximale de deux ans, cette dernière aura pour effet d’accentuer l’exode des médecins algériens vers la France où ils pourraient être encouragés à s’installer en tant que libéraux dans les déserts médicaux de l’hexagone. Un tel exode pénalisera le système de santé algérien menaçant sa pérennité ».

Et de conclure qu’Il faut également souligner le fait que "la dure réalité que vivent les médecins algériens et les conditions déplorables dans lesquelles ils exercent ainsi que le mépris total dont ils font l’objet notamment par les pouvoirs publics ne peuvent que les inciter à partir vers d’autres horizons".

 

Au Maroc, le site Medactu, indique pour sa part, qu’au moment où le Ministère marocain refuse une dignité de travail à nos jeunes médecins, la France, elle, ouvre ses portes à ces derniers leur assurant le droit de s’installer et d’exercer sur son territoire.

Et conclue que les médecins des pays du Maghreb, révoltés contre leur ministère surtout au Maroc et en Algérie, ne peuvent qu’être fascinés par cette véritable opération de charme destinée à séduire les médecins étrangers afin de les convaincre d’émigrer vers la France, actuellement en manque de praticiens.

 

En Tunisie, sous le titre « Exode massif des médecins tunisiens : Un décret français amplifie l'hémorragie ! »  le media espacemanager constate, « Alors que nos toubibs* (confrontés à un ras-le-bol et à un secteur de la santé au bord de l'asphyxie), se saignent aux quatre veines pour pouvoir exercer leur métier dans les règles de l'art, d'autres contrées assouplissent les conditions d'accueil aux hommes en blouse blanche. 

Face à cette fuite des cerveaux, des médecins tunisiens, à l'instar de Moez Ben Salem (dermatologue installé à Tunis) ont pourtant tiré la sonnette d'alarme, mais la surdité associée à la cécité des autorités se font encore plus profondes.

Et la conséquence est évidente : de plus en plus de jeunes spécialistes, pourtant formés pendant des années aux frais du contribuable tunisien, préfèrent partir. Un véritable gâchis qui affecte à la fois, aussi bien le secteur de la santé publique que celui privé.

Le plus inquiétant dans cette fuite de médecins, c'est que la France, confrontée elle-même à une pénurie de compétences médicales, a saisi l'occasion idoine pour encore "aspirer" davantage nos toubibs. Et de quelle manière ! »

*N.B Hospihub : « toubib » est un mot d’origine arabe pour désigner le médecin

 

Vu de la France

Des inquiétudes qui sont à éclairer également du point de vue du Conseil National de l'Ordre des Médecins (CNOM) français, qui explique, suite à une étude 2017 sur les flux migratoires de médecins à diplômes étrangers en France que « Contrairement à une idée largement répandue, cette population n’est pas une réponse aux difficultés territoriales d’accès aux soins ».

L’étude montre que ces médecins étrangers, quelle que soit leur nationalité, et à l’instar de leurs confrères français, ne s’installent pas dans les zones définies comme déficitaires par les ARS.

Par ailleurs et de manière générale, on observe que la part de l’exercice salarié est dominante (62 %) chez les médecins titulaires d’un diplôme européen ou extra-européen. Cela est vérifié partout en France : l’exercice salarié est privilégié par les médecins à diplôme étranger dans toutes les régions de France, par les médecins à diplôme européen comme par les médecins à diplôme extra-européen.

Une analyse partagée par Jean-Noël Escudié sur le site de la Caisse de Dépôt : Le ministère de la Santé présente la mesure comme contribuant au rayonnement de l'enseignement médical français et participant aux politiques nationales de coopération. Mais ajoute-t-il : « Si cette dimension est bien présente, elle est toutefois loin d'être la seule.

En effet, ces dispositions doivent aussi contribuer à améliorer la démographie médicale et à pourvoir des postes hospitaliers aujourd'hui sans titulaires, en particulier dans les zones sous-dotées