Elaboration d’un protocole de prise en charge des patients Covid19 au bloc opératoire

Date de publication
Elaboration d’un protocole de prise en charge des patients Covid19 au bloc opératoire
France

Il y a exactement 40 ans, nous commencions à écrire les premiers protocoles d’hygiène produits en milieu hospitalier. C’était à l’Hôpital Américain de Paris avec Marie Thérèse Breuil et nous avons rapidement découvert les difficultés de l’exercice :

  • Il n’est pas simple d’exprimer clairement par écrit ce qui parait si évident à faire dans la réalité
  • La réflexion logique peut conduire à des propositions trop lourdes et peu compatibles avec les contraintes de la réalité
  • Le seul moyen de savoir si le protocole fonctionne vraiment est de le tester sur le terrain
  • Un protocole n’est pas rédigé dans le but de répondre à un besoin théorique, mais pour être réellement appliqué
  • Un protocole ne sert à rien dans un placard et pour être appliqué, il doit être accepté, donc présenté aux utilisateurs avec ses motivations, les bénéfices à en attendre, ses contraintes et les moyens de les gérer

En fait, traduire une activité en protocole est d’abord un exercice de communication qui s’appuie sur l’échange avec les équipes et le partage d’informations. Il est difficile de faire simple et bizarrement, on y arrive mieux à plusieurs. Il faut accepter d’y consacrer du temps, d’y revenir régulièrement et finalement, de tester la faisabilité du protocole en le réalisant concrètement.

Le protocole présenté ici a suivi ces principes d’élaboration. Il a été rédigé par l’équipe du Collectif Inter Blocs à qui revient cette initiative de proposer aux collègues un outil pratique et réaliste leur permettant d’améliorer quotidiennement leur sécurité. Diverses équipes ont réfléchi sur le sujet, parfois avec des approches complexes ou en proposant des mesures plus ou moins adaptées. Mais elles avaient le mérite de faire seules ce que d’autres instances auraient peut-être dû leur proposer.

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Dans le contexte actuel, encadrer le risque de contamination des soignants est évidemment une mesure essentielle. Mais les protocoles établis n’ont de sens que s’ils sont simples, clairs, réalistes, cohérents, adaptés au contexte et aux moyens, donc en pratique pas faciles à rédiger.

Au cours de la mise au point de ce protocole se sont posées quelques questions :

  • Quel type de masque utiliser ?

Le masque FFP2 est indispensable pour toute personne qui approche le patient et à fortiori pour exercer une intubation et une extubation.

Des lunettes de protection sont indispensables.

De même pour l’équipe chirurgicale.

La manipulation des déchets et du linge nécessite également ce niveau de protection.

Par contre, le nettoyage de la salle qui intervient lorsque le patient est parti et que cette salle a été débarrassée des déchets, matériels et instruments chirurgicaux, peut être réalisé avec un masque chirurgical habituel, si la salle est bien ventilée.

 

  • Quelle tenue adopter ?

La réponse est simple et uniforme : surblouse jetable enveloppante à manches longues serrées au poignet, tablier plastique, gants avec manchette, cagoule, masque, lunettes et couvre chaussures.

Attention aux détails, en particulier à l’espace libre qui reste entre la casaque et la cagoule qui expose la peau nue du soignant à une contamination directe. Il est dont important de veiller à ce que la casaque soit remontée au maximum lorsqu’elle est nouée dans le cou.

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  • Comment gérer la ventilation de la salle ?

Les questions liées à la ventilation des salles sont rarement bien intégrées par les équipes du bloc opératoire, c’est pourquoi une mise au point simple a été ajoutée au protocole :

Tout d’abord, il ne faut pas arrêter la ventilation de la salle car elle assure la sécurité de ses occupants en apportant un débit élevé d’air propre qui remplace l’air contaminé et qui maintient un faible niveau ambiant de contamination. Si on arrête la ventilation, il n’y a plus d’apport d’air ni de reprise et la contamination s’accumule pour atteindre rapidement un niveau critique.

Se pose alors la question des surpressions et dépressions :

La pression est obtenue en modifiant le volume d’air repris, par exemple :

  • Si on souffle 5 000 m3 et qu’on en reprend 5 000, la pression est de 0 ou iso pression (à ne pas confondre avec le classement ISO des salles)
  • Si on souffle 5 000 m3 et qu’on reprend 4 500 m3 par le système d’extraction, il reste 500 m3 qui créent la surpression et cet air en trop part dans le couloir par les joints de porte. C’est pour cela qu’il est préférable d’avoir un sas car il protège le couloir d’une éventuelle contamination à partir de la salle. Cela fonctionne aussi dans le sens inverse et le sas protège la salle de la contamination du couloir quand on ouvre la porte.
  • Si on souffle 5 000 m3 et qu’on reprend 4 200 m3, la surpression est plus forte, elle se mesure en Pascals et en général, elle est de 15 Pascals (Pa) entre la salle et le sas et 15 Pa entre le sas et le couloir.
  • Si on souffle 5 000 m3 et qu’on reprend 5 500 m3, on crée une dépression dans la salle qui aspire dans ce cas l’air du couloir, d’où l’intérêt du sas.

 

Donc, si on dispose d’un sas, on peut mettre la salle en dépression sans risque pour le patient.

Si on ne dispose pas de sas (malheureusement situation fréquente) on doit mettre la salle en iso pression (pression 0) et garder les portes fermées pendant toute l’intervention.

 

  • Gérer le déshabillage

Cette phase très délicate peut entraîner une contamination du soignant, surtout si elle est accomplie dans l’urgence. Elle doit pour être sécurisée, se dérouler sans précipitation et sous le contrôle d’un collègue. Plusieurs échanges ont été nécessaires pour aboutir au protocole final.

S’est posée la question de la douche qui prend du temps de réalisation : elle est peu usitée dans la plupart des blocs et ne serait justifiée que dans le cas d’une contamination massive. Le tablier plastique et la blouse assurent dans ce cas la protection nécessaire. Dans le cas contraire, la contamination du soignant serait quasiment garantie et la douche finale n’y changerait malheureusement pas grand-chose.

 

  • Le lavage des mains

La décontamination des mains ne doit pas reposer uniquement sur la SHA. Il est reconnu que l’action du savon est très efficace sur l’enveloppe du virus et que la SHA perd son efficacité sur des mains souillées. Après avoir porté longuement des gants, la transpiration entraîne une concentration microbienne importante sur les mains et il faut se souvenir que les gants sont poreux, en particulier dans le cas de microorganismes de la taille d’un virus.

Tout est question de mesure et d’intelligence des situations. Si les gants sont portés longuement ou sont utilisés pour des actes très contaminants (extubation per exemple) un lavage soigné des mains et avant-bras est nécessaire. Il peut être suivi d’une friction SHA.

Cette friction sera suffisante pour un grand nombre de situations où les gants sont portés peu de temps, sans occasionner de contamination massive.

 

  • Le nettoyage de la salle

Il était proposé initialement d’attendre une heure avant de réutiliser la salle. Cette attitude est arbitraire et fait perdre beaucoup de temps. Elle correspond aux pratiques en vigueur à l’époque où la ventilation des salles d’opération était très peu performante.

Les performances actuelles de ventilation des salles permettent aujourd’hui d’aborder différemment le problème.

Exemple : dans une salle de 40m2 avec une hauteur sous plafond de 3m, le volume est de 120m3. Si le débit de la ventilation est de 50 Volumes/Heure (ISO 5 en chirurgie de classe 1), il est insufflé 6000 m3/heure. Cette ventilation était présente durant la réalisation de tous les actes, y compris le temps de nettoyage final. L’air de la salle est en réalité parfaitement propre à la fin du nettoyage, qui va prendre un peu de temps. La salle est donc tout à fait utilisable en fin de nettoyage.

Dans une salle d’opération ISO7, le débit serait environ de 2000 m3/h et ce serait également suffisant. Attendre une heure est très contraignant pour l’organisation du bloc et ne se justifie pas en termes de gestion de risque.

   

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Un protocole est un guide que chacun doit adapter à sa situation et aux moyens dont il dispose. Le travail qui a été réalisé par cette équipe a pour objectif de faire gagner du temps et de l’efficacité aux professionnels du bloc opératoire dans la mise en œuvre des mesures permettant d’améliorer leur sécurité.

Auteurs : Patrick BREACK – Grégory CHAKIR et Stéphanie HUILLET du Collectif Inter Blocs ( à retrouver sur Facebook  et Twitter ) - 26 mars 2020

 

Bibliographie

- Réalisé avec le concours de Patrick BREACK, Expert en Hygiène, Conception et Organisation Hospitalières.

- Protocoles des blocs opératoires AP-HP et Hôpitaux de Bordeaux et Bayonne

- Arlin, r. (s.d.).

- Elsevier.com. (s.d.). Journal de chirurgie viscérale. Stratégie pour la pratique de la chirurgie digestive et oncologique en situation d'épidémie de COVID-19.

- Patrick BREACK « Comprendre et concevoir le bloc opératoire » éditions Hospihub 1998

- SF2H. (s.d.). Qualité de l'air au bloc opératoire.

- Nouvelle définition des cas de COVID-19 et prise en charge de ces patients. Ministère des Solidarités et de la Santé. Direction Générale de la Santé Référence MARS 2020_8. 01/03/2020

- Société française d’Hygiène Hospitalière (SF2H) 2018. AVIS N° 2018-01/SF2H du 23 mars 2018 relatif au choix et à l’utilisation adaptée d’un appareil de protection respiratoire. https://www.sf2h.net/publications/avis-n-2018-01-sf2h-du-23-mars-2018-relatif-au-choix-et-a-lutilisation-adaptee-dunappareil-de-protection-respiratoire

- La pollution de l'air est une « autoroute » pour le coronavirus le 21/03/2020

- https://www.futura-sciences.com/alternative/amp/actualite/80173/?__twitter_impression=true

- INRS Masque chirurgical : points à retenir

- INRS Appareils de protection respiratoire et risques biologiques

- Société Française de Recherche des Infirmiers en Pratique Avancée ( SoFIPRA : Recommandations du 25/03/2020 à destination des soignants : port du masque (Covid19)