La plupart des pays sont face à la nécessité de construire et de rénover de nombreux hôpitaux et cliniques, ce qui représente une charge financière considérable. Dans un second temps, chacun sait que les frais de fonctionnement de ces établissements de soins modernes pèseront lourdement sur le budget annuel de la Santé si d’entrée, on ne recherche pas les moyens les plus efficaces de réaliser des économies récurrentes. Le déficit abyssal des finances des hôpitaux français porte à réfléchir.
A contrecourant de la tendance actuelle qui consiste à complexifier toujours d’avantage l’environnement technique des hôpitaux, peut se poser une question simple. Le budget des États ou des investisseurs privés, quels qu’ils soient, est-il en mesure de le supporter ?
De plus en plus, la charge des structures hospitalières s’avère trop lourde pour les budgets nationaux ou le système de financement de la Santé. En France, le montant réservé au fonctionnement hospitalier pour l’année 2012 est estimé à 74,6 milliards d’euros, soit 1,9 milliards de plus qu’en 2011. Ce qui ne constitue pas une bonne nouvelle dans le contexte actuel.
Lorsque la rigueur s’impose à la grande majorité des citoyens, ou que le développement nécessite de multiples investissements, il est naturel de s’interroger sur l’opportunité de consacrer des sommes toujours plus importantes à la construction et au fonctionnement des hôpitaux. Les besoins médicaux évoluent, les techniques également, rarement dans le sens d’une économie. Elles sont mises en œuvre par des industriels qui s’absorbent et se concentrent dans des structures financières plus importantes et souvent plus exigeantes en termes de résultats pour leurs actionnaires. Donc tout coûte toujours plus cher. La culture sécuritaire qui s’est développée, notamment en France, au fur et à mesure d’accidents divers mettant en cause des responsables hospitaliers, des entreprises, voire des concepteurs, conduit naturellement à s’appuyer sur un système réglementaire et normatif qui, pour sécuriser, tend à s’hypertrophier. Tout ce qui va dans le sens d’une plus grande sécurité du patient est naturellement bon à prendre, mais au travers de cette évidence, se met en place une perversion du système qui entraîne des dépenses qui ne sont pas toutes indispensables.
LIMITER LE COÛT DES INSTALLATIONS TECHNIQUES
Par exemple, lorsque se conçoit ou se modernise un hôpital, il est inimaginable de ne pas équiper son bloc opératoire d’installations de traitement d’air complexes qui coûtent une fortune, tant à l’achat qu’en fonctionnement, alors que le bénéfice de cette sophistication reste à démontrer. Traiter une salle d’opération en classe ISO5 pour la chirurgie orthopédique nécessite des installations qui diffusent 50 volumes d’air de la salle par heure, ce qui représente une importante consommation d’énergie. Il n’est pas exceptionnel que ces systèmes fonctionnent 24h/24 alors que les salles d’opérations sont utilisées quelques heures par jour. Il faut savoir que les guidelines Nord-américains recommandent dans une situation équivalente un débit de 25 volumes/heure, exactement la moitié, sans que cette disposition entraine le moindre risque supplémentaire pour les patients. Aucune publication à ce jour n’a permis de mettre en évidence un quelconque bénéfice à doubler les débits de ventilation des salles d’opération. Un suivi attentif des travaux concernant l’aérobiocontamination permet d’affirmer que les publications scientifiques produites, qui concernent principalement la chirurgie orthopédique où les taux de complication infectieuse sont très faibles, ne mettent jamais en évidence d’infection directement imputable à l’air, dans des systèmes en bon état de marche. Il peut en effet se produire que ces installations complexes se dérèglent et deviennent dangereuses.
Les industriels développent, au travers des instances de normalisation, un lobbying efficace qui conduit à la production de textes qui leur sont très favorables. C’est le cas, pour prolonger l’exemple cité auparavant, de la norme NFS 90-351 sur le traitement de l’air à l’hôpital qui a permis par exemple il y a dix ans, de doubler le marché de vente des filtres absolus dans les hôpitaux français.
A un niveau supérieur, d’autres choix peuvent être discutés. Par exemple, le Partenariat Public Privé (PPP) qui permet de réaliser (relativement) rapidement des hôpitaux, mais qui grève lourdement le budget de la Santé à long terme, pour des prestations médiocres comme le démontre en France la récente affaire de l’hôpital d’Evry. Pour un budget estimatif initial de l’ordre de 380 Millions d’euros, ce projet était prévu pour être remboursé pendant trente ans sur une base annuelle initiale de 30 à 42 millions d’euros, réévaluée à 51 millions d’euros pour financer les travaux correctifs. Une expertise mandatée par l’ARS a en effet mis en évidence plus de 8 000 malfaçons mettant en cause la sécurité des patients. A tous égards, une brillante réussite. Finalement, l’Etat Français a préféré négocier le rachat du contrat.
Qui plus est, une des caractéristiques de ce genre d’opération est l’absence de contrôle des utilisateurs qui doivent attendre la livraison d’un produit fini, établi sur des bases contractuelles strictes au départ du projet. L’évolution dans le temps des techniques et des besoins entraîne inévitablement des modifications. Acceptables bien sûr, mais dans le cadre de lourdes plus-values. En admettant que ce type de financement convienne à certains projets, il ne semble pas qu’il soit adapté à la réalisation d’hôpitaux. Ecartés semble-t-il des projets hospitaliers français, les promoteurs du PPP se répandent aujourd’hui en Afrique et dans les pays émergents pour y proposer le même mécanisme alors que la situation financière locale ne permet pas de couvrir correctement les besoins sanitaires fondamentaux de la population.
Dans cet objectif, les grands groupes du BTP ont développé des secteurs de conception hospitalière, destinés à répondre aux besoins des pays en développement, mais avant tout, à leurs objectifs de rentabilité. Dans certains cas rencontrés récemment, ces concepteurs qui se présentent comme des spécialistes de l’hôpital, ne manifestent aucune connaissance réelle de ce qui s’y passe au quotidien et encore moins des spécificités des pays concernés. Ils se présentent comme des facilitateurs, œuvrant bénévolement, avant tout appel d’offres officiel, pour assister l’architecte en charge du projet. Mais à tout hasard, le staff complet de l’entreprise est présent aux réunions de travail. Sur un cas récent, il a été mis en évidence que la surface prévue d’un projet de 250 lits était de 44 000 m2 alors qu’il était possible, en respectant le même programme médical, de limiter cette surface à 25 000 m2.
Le type d’architecture est également important. Le choix retenu en la circonstance impose de nombreux patios, ce qui induit la construction de 8 500 m2 de façades supplémentaires, qu’il était possible d’éviter en concevant un projet plus compact et tout aussi lumineux. Les conséquences financières de ces choix sont considérables et inacceptables pour des pays dont les budgets sanitaires sont limités, tant en ce qui concerne les investissements que le fonctionnement. Mais il semble que l’intervention de lourds financements étrangers déconnecte les responsables des réalités car, dans la situation décrite, il a été décidé de maintenir en l’état ce projet manifestement trop coûteux. Ce qui pose clairement la question de la compétence et du sens des responsabilités des décideurs.
Au plan de la conception technique, les écarts sont tout aussi significatifs. Concevoir des chambres de greffe d’une surface de 32 m2 quand la moitié suffit largement est un point intéressant car le traitement d’air, au minimum 50 volumes/heure d’air filtré ISO 5, va naturellement coûter beaucoup plus cher, sans aucun bénéfice supplémentaire pour le patient. Finalement, le cumul de ces choix hasardeux, compte tenu de la complexité d’un hôpital, peut amener à ce qu’un établissement récent de 250 lits soit équipé d’un ensemble de transformateurs de 6000 KVA et de 3 groupes électrogènes de 1 500 KVA, soit trois fois ce qui serait nécessaire dans une conception raisonnable. Le budget mensuel de fonctionnement de ces installations est très lourd pour l’établissement et le restera longtemps.
Les choix concernant des techniques médicales récentes méritent également d’être questionnés. La multiplication des salles hybrides, très exigeantes au plan technique et particulièrement coûteuses en équipement et en fonctionnement, semble relever parfois d’avantage de la recherche de prestige que de la réponse au besoin médical objectif. Une revue de la littérature actuelle sur ce sujet devrait conduire à être plus circonspect. Les études comparatives internationales, menées sur plusieurs séries de patients, traités ou non selon ces techniques, ne permettent pas de mettre en évidence, à terme de cinq ans, un bénéfice significatif pour les patients opérés en salle hybride. Mais le coût des soins avec de tels équipements est beaucoup plus élevé pour la société. Cette question interpelle particulièrement dans des pays où les besoins sanitaires fondamentaux peinent à être satisfaits.
Hôpital de Pô – Image www.slateafrique.com
BOUSCULER LES SCHÉMAS ÉTABLIS
Avant que soit décidé d’hypertrophier des systèmes techniques, il serait souhaitable que puissent s’exprimer en toute indépendance des professionnels expérimentés, libres de toute attache avec l’Industrie ou le Bâtiment. Que soient objectivés par des études contradictoires les apports effectifs des techniques proposées et que soient effectuées des recherches sur les solutions admises au plan international pour des situations comparables. Ce qui n’est pas bien difficile aujourd’hui grâce à Internet. Il serait également judicieux de remettre en cause le bien-fondé des exigences d’une norme, s’il n’apparait pas de bénéfices significatifs après sa mise en application. Cette démarche existe aux États-Unis. Par exemple, démontrer que le renouvellement du volume d’air environnant l’acte opératoire puisse être de 100 fois par heure, ce qui est déjà beaucoup, au lieu de 200 fois conduirait à des économies sensibles d’investissement et surtout, de fonctionnement. Cette démarche scientifique objective est indispensable car elle a pour conséquence un changement des habitudes, maintenant bien acquises, tant en ce qui concerne la conception que l’utilisation. Chacun doit être informé pour être responsable face au coût des systèmes qu’il conçoit ou qu’il utilise. Le chirurgien ne pourra plus exiger une salle d’opération de 60m2 si 40m2 suffisent et un système de traitement d’air dispendieux s’il est démontré qu’il coûte d’avantage sans apporter plus. Le bureau d’études ne pourra plus le proposer. Le budget des installations n’en serait pas exactement divisé par deux, mais il serait beaucoup plus faible. Quant au budget de maintenance, l’économie s’applique sur au moins vingt ans.
Pour ce qui concerne l’architecture, on peut se demander si un hôpital doit être un monument ou un bâtiment d’abord fonctionnel, ce qui ne lui interdit pas d’être agréable. Certains projets ont été conçus avec des halls ou des galeries immenses, des couloirs très larges qu’il faut climatiser et entretenir. Le geste architectural, qui flatte l’égo de l’architecte et du politique venant inaugurer le monument, est parfois dispendieux. Au coût élevé de la construction s’ajoute le budget récurrent des frais de fonctionnement. Il serait possible de prolonger cette analyse qui ne concerne que quelques points significatifs parmi beaucoup d’autres. Mais l’objectif est avant tout d’amener une réflexion plus globale sur la façon d’aborder aujourd’hui des projets très complexes, dont on sait qu’ils seront inévitablement très coûteux. Par ailleurs d’y associer l’incidence des choix retenus sur les budgets de fonctionnement, car en finale ce sont les contribuables, à l’occasion devenus patients qui en supportent toutes les conséquences.
Il est particulièrement important de ramener ces considérations à la situation des pays en développement, qui n’échappent à aucun des points décrits, alors que leur situation financière est encore moins susceptible de supporter de tels débordements. Le fait de bénéficier de prêts importants et avantageux des institutions financières internationales pour la construction de leurs hôpitaux, semble anesthésier les décideurs et leur faire oublier que leur budget national devra en couvrir ensuite les énormes frais de fonctionnement. A moins d’accepter comme naturelle une durable dépendance au soutien financier international.
La responsabilité directe de ces décideurs et des concepteurs qui les accompagnent est très importante vis-à-vis des populations qui auront à financer longuement, au travers de leurs contributions sociales, des frais d’hospitalisation et de leurs impôts, des structures qui sont aujourd’hui décidées, conçues et réalisées en dépit des contraintes financières fortes et durables que les Etats auront ensuite à supporter.
Il ne faudrait plus décider et concevoir au-dessus de ses moyens.
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